Par Catégories
- Actualité
- Actualité juridique
- Accident du travail
- Barème prud'homal
- Chômage
- Code du travail
- Coemploi
- Contrat de travail
- Détachement
- Discrimination
- Egalité
- Expertise
- Faute inexcusable
- Fiscalité et exonérations
- Harcèlement / Risques psychosociaux
- Inaptitude
- Institutions représentatives du personnel
- Intéressement / Participation
- IRP
- Les réformes
- Licenciement économique
- Licenciement individuel
- Maladie professionnelle
- Négociation collective et accords
- Participation
- Prélèvement à la source
- Protection sociale complémentaire
- Règles internes dans l’entreprise
- Réligion
- Rupture du contrat de travail
- Sécurité Sociale
- Statuts particuliers
- Télétravail
- La presse en parle
- La vie du cabinet
Par date
- 2019
- 2018
- 21/12/2018
- 17/12/2018
- 03/12/2018
- 22/11/2018
- 15/11/2018
- 15/11/2018
- 13/11/2018
- 12/11/2018
- 02/11/2018
- 16/10/2018
- 27/09/2018
- 10/09/2018
- 03/09/2018
- 27/08/2018
- 30/07/2018
- 09/07/2018
- 05/07/2018
- 15/06/2018
- 14/06/2018
- 05/06/2018
- 31/05/2018
- 18/05/2018
- 18/05/2018
- 15/05/2018
- 26/04/2018
- 26/04/2018
- 10/04/2018
- 30/03/2018
- 30/03/2018
- 30/03/2018
- 26/03/2018
- 23/03/2018
- 23/03/2018
- 19/03/2018
- 13/03/2018
- 08/03/2018
- 06/03/2018
- 01/03/2018
- 16/02/2018
- 12/02/2018
- 01/02/2018
- 09/01/2018
- 04/01/2018
- 2017
- 22/12/2017
- 19/12/2017
- 05/12/2017
- 05/12/2017
- 30/11/2017
- 28/11/2017
- 21/11/2017
- 16/11/2017
- 16/11/2017
- 10/11/2017
- 31/10/2017
- 25/10/2017
- 24/10/2017
- 19/10/2017
- 11/10/2017
- 25/09/2017
- 22/09/2017
- 14/09/2017
- 12/09/2017
- 11/09/2017
- 07/09/2017
- 07/09/2017
- 07/09/2017
- 05/09/2017
- 05/09/2017
- 04/09/2017
- 01/08/2017
- 01/08/2017
- 07/07/2017
- 06/07/2017
- 04/07/2017
- 04/07/2017
- 03/07/2017
- 03/07/2017
- 30/06/2017
- 30/06/2017
- 30/06/2017
- 29/06/2017
- 29/06/2017
- 15/06/2017
- 22/05/2017
- 16/05/2017
- 12/05/2017
- 04/05/2017
- 25/04/2017
- 20/04/2017
- 31/03/2017
- 17/03/2017
- 16/03/2017
- 06/03/2017
- 06/03/2017
- 03/03/2017
- 24/02/2017
- 17/02/2017
- 06/01/2017
- 03/01/2017
- 2016
- 2015
- 2014
Mai 2017
16
Plateformes, requalification en contrat de travail et subordination économique
Plateformes et travailleurs
Le droit du travail est-il une réponse appropriée à la précarité grandissante des travailleurs 2.0 ? Le développement des plateformes pose en effet la question de la pertinence du droit existant pour appréhender les nouvelles formes de pratiques contractuelles, qui se développent grâce à la mise en relation simplifiée d’acteurs économiques par le biais du numérique.
Pourtant, le droit du travail n’a pas toujours vocation à s’appliquer. En effet, les prestataires des plateformes ne sont pas tous des travailleurs, et tous les travailleurs ne sont pas des salariés.
A titre d’exemple, les plateformes qui permettent des achats groupés (de type Groupon) n’impliquent pas une prestation de travail spécifique. Il en va de même pour les plateformes de location ou de mise à disposition d’un bien (de type AirBnb), dont l’objet principal n’est pas la fourniture d’un travail mais celle d’un meuble ou d’un immeuble pour une durée déterminée et un usage spécifique.
L’existence d’une prestation de travail peut en revanche être caractérisée sur les plateformes de free-lance (tel que le site JobyPepper, qui met en relation des entreprises avec des étudiants auto-entrepreneurs pour des tâches simples et sans qualification pré-requise) ou encore les fameuses plateformes de transport de personnes tels que Uber, Chauffeur Privé ou encore Le Cab.
Dans ce dernier cas, les juridictions françaises et internationales se sont prononcées sur la question de la requalification en contrat de travail d’une relation contractuelle dont le modèle et la viabilité économique reposent sur le recours à des travailleurs indépendants.
L’arme de la requalification pour des travailleurs en situation précaire
En France, les juridictions prud’homales n’ont pas été les premières à être saisies de la question de l’existence d’un contrat de travail liant les chauffeurs VTC aux plateformes.
Ainsi, en 2015, l’URSSAF d’Île-de-France a considéré qu’il existait un « lien de subordination » entre la société de véhicules de transport avec chauffeur (VTC) et ses chauffeurs et a redressé la société Uber au titre du paiement des cotisations sociales correspondantes pour un montant de 5 millions d’euros pour la période 2012-2013.
Uber a contesté la régularité de la procédure et le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale (TASSS), saisi de la question, a annulé fin 2016 le redressement pour vice de forme. L’administration a fait appel de cette décision, qui ne règle cependant rien au litige qui oppose sur le fond les deux parties.
Par ailleurs, l’Urssaf a transmis au Procureur de la République de Paris un procès-verbal de travail dissimulé, « fondé sur le principe du détournement de statut ».
Rien n’est donc acquis du côté de l’administration, tant devant les juridictions civiles que pénales.
C’est dans ce contexte incertain qu’a été rendu un jugement par la section départage du Conseil de prud’hommes de Paris le 20 décembre 2016 (n°14/16389).
Saisi par un chauffeur VTC exerçant son activité pour la société Le Cab, le Conseil a adopté une position opposée à celle de la Cour d’Appel de Paris (CA Paris, 7 janvier 2016, n°15/06489) en requalifiant la relation contractuelle en contrat de travail.
Ont été retenus comme critères de requalification le fait que la société VOXTUR, propriétaire de Le Cab, disposait d’un pouvoir de sanction (directives, contrôle de la tenue et du temps de travail) et que le chauffeur VTC ne disposait pas d’une réelle liberté pour développer sa clientèle propre ou pour exploiter la clientèle d’un tiers.
En effet, les contrats conclus entre la plateforme et le chauffeur comportaient une clause d’exclusivité empêchant le chauffeur de travailler pour d’autres plateformes. C’est cet état de subordination économique dans lequel se trouvait le chauffeur, entièrement tributaire des missions assignées par la plateforme, qui semble avoir été déterminante pour requalifier la relation contractuelle en contrat de travail.
Rappelons que les conséquences d’une telle requalification sont loin d’être neutres pour l’entreprise en cela même en l’absence de rupture de la relation : la société VOXTUR a en effet été condamnée à des rappels de salaire pour heures supplémentaires et congés payés afférents, à des remboursements de frais professionnels ainsi qu’à des dommages et intérêts pour travail dissimulé.
On peut s’étonner de la tardiveté d’une telle décision : en effet, jusqu’à présent, les demandes de requalification étaient rares, alors que l’activité de chauffeurs VTC concerne environ 20.000 travailleurs ne serait-ce qu’à Paris.
Le jugement du 20 décembre 2016 a véritablement ouvert la voie, puisque le 15 avril 2017, le syndicat SCP-VTC a déposé devant le Conseil de prud’hommes de Paris une dizaine de dossiers de requalification de chauffeurs VTC en salariés, après des mois de discussions avortées avec les plateformes. Une cinquantaine d’autres cas seraient prêts à être déposés dans l’année à venir.
Toutefois, le sort d’Uber et de ses consœurs est loin d’être scellé.
En effet, à la différence de la société Le Cab, la société Uber ainsi que d’autres plateformes bien connues ont pris le soin d’exclure toute notion d’exclusivité des contrats conclus avec leurs chauffeurs. Il n’est ainsi pas rare d’avoir affaire à des chauffeurs qui travaillent simultanément pour plusieurs plateformes.
Le retour de la dépendance économique comme critère du contrat de travail ?
Quel que soit le sort de ces actions, il convient également de souligner la singularité de l’argumentation retenue par le CPH dans le jugement du 20 décembre 2016. En effet, le juge prud’homal a exhumé la notion ancienne de dépendance économique.
Apparue au tout début du XXe siècle, la théorie de la dépendance économique a pu être retenue comme critère du contrat de travail.
Le recours à cette théorie fut toutefois fermement écarté par l’arrêt Bardou, rendu par la Cour de Cassation en 1931 (Civ, 6 juillet 1931), au profit de la théorie du lien de subordination qui s’intéresse avant tout aux modalités d’exercice du pouvoir plutôt qu’à ses effets.
Depuis lors, le recours à cette notion apparaissait marginal dans la qualification de contrat de travail. Le jugement du 20 décembre 2016 donne à la dépendance économique un nouvel élan.
Que recouvre exactement la notion de dépendance économique ? On y devine une situation de faiblesse, venant de l’importance qu’une relation économique a pour une des parties comparativement à l’autre partie. Ce déséquilibre est souvent lié au fait que la partie en situation de dépendance tire généralement une part essentielle de ses revenus de subsistance dans la relation.
Si la dépendance économique ne suffit pas à caractériser à elle-seule l’existence d’un contrat de travail (CA Reims 17 février 2010 n°09-329), l’existence d’une situation de dépendance intense permet de se contenter d’un lien de subordination limité.
Ainsi, dans un arrêt du 12 janvier 2011 (Soc., 12 janvier 2011, 09-66.982), la Cour de Cassation limite l’analyse de l’état de subordination d’un transporteur routier à l’existence d’horaires précis et fixes. La Haute Juridiction s’attarde toutefois sur le fait que le salarié est placé dans l’impossibilité pratique de « travailler avec d’autres clients ou fournisseurs, compte tenu du temps consacré à ses prestations au service de son donneurs d’ouvrage » et sur le fait qu’il était « tributaire des tarifs imposés par cette société ». Ces éléments démontrent l’existence d’une forte dépendance économique, permettant la caractérisation d’un contrat de travail malgré une subordination juridique à peine esquissée.
Le raisonnement est le même dans l’arrêt du 20 décembre 2016, puisque l’impossibilité pour le chauffeur de travailler avec d’autres plateformes occupe une place prépondérante dans le raisonnement des conseillers prud’homaux, qui ne prennent pas la peine d’énumérer les éléments retenus pour caractériser l’existence d’un état de subordination.
Reste à voir si les juridictions supérieures, si elles sont saisies, confirmeront cette tendance.
En dehors de nos frontières
Il est intéressant de constater que la question de la pertinence du droit existant ne se pose pas uniquement en France. Les regards du monde entier sont braqués sur le « modèle Uber » implanté dans près de 80 pays dans le monde et sur sa pérennité.
C’est ainsi que le modèle Uber a récemment connu une nouvelle attaque à l’occasion d’un cas soumis à la CJUE à la suite d’une plainte d’une association de taxis barcelonais pour concurrence déloyale, en raison de l’absence de licences et d’autorisations obligatoires pour les taxis. L’avocat général a déclaré que « les chauffeurs (…) n’exercent pas une activité propre qui existerait indépendamment de cette plate-forme. Au contraire, cette activité ne peut exister que par l’intermédiaire de la plate-forme, sans laquelle elle n’aurait aucun sens ».
Par conséquent, Uber relèverait de la règlementation des transports et pourrait être obligée de posséder les licences requises pour les taxis. Les juges doivent encore rendre leur avis, mais une telle formulation est de mauvais augure pour Uber et le caractère incontournable de la plateforme pourrait bien trouver des incidences dans d’autres domaines du droit, tel que le droit du travail.
Aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni, des juges locaux ont retenu l’existence d’un contrat de travail en dépit des termes du contrat liant les chauffeurs à la plateforme.
Par ailleurs, la société Uber est connue pour avoir conclu de nombreuses transactions dans des cas de class actions outre-Atlantique, cherchant sans doute à éviter une mauvaise publicité et des coûts exponentiels en cas de condamnation.
Si les décisions connues ne semblent pas s’attarder sur l’état de dépendance économique créé auprès des chauffeurs, des constructions juridiques intermédiaires permettraient d’appliquer certaines règles du droit du travail aux travailleurs économiquement dépendants sans avoir recours au contrat de travail.
Il en va ainsi de la catégorie de « workers » existant au Royaume-Uni, par opposition aux « employees ». Les workers bénéficient notamment du salaire minimum et des règles applicables au temps partiel.
La voie d’une nouvelle catégorie légale pourrait bien être une alternative crédible à la requalification, déjà dénoncée par certains comme un dévoiement du contrat de travail.
A cet égard, la loi Travail du 8 août 2016 a amorcé une esquisse de régime social applicable aux travailleurs indépendants utilisateurs de plateformes.
Ainsi, l’article L. 7342-1 du Code du travail prévoit désormais une responsabilité sociale de la plateforme à l’égard des travailleurs indépendants sous certaines conditions. Cette responsabilité sociale recouvre notamment l’obligation pour la plateforme de prendre en charge les cotisations des travailleurs indépendants à une couverture accident du travail, ainsi que la prise en charge de la contribution à la formation professionnelle. Les nouvelles dispositions légales reconnaissent également le droit pour les travailleurs indépendants de participer à un mouvement de refus concerté de fournir leurs services en vue de défendre leurs revendications professionnelles, et de constituer une organisation syndicale, d’y adhérer et de faire valoir par son intermédiaire leurs intérêts collectifs (C. trav. art. L 7342-6 nouveau).
Ces nouvelles protections seront-elles suffisantes pour diminuer l’attrait d’une action en requalification? Rien n’est moins sûr.
Juliette Halbout