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Entreprises : l’alerte est lancée
En ce jour de célébration des lanceurs d’alerte, fort de l’imaginaire nourri de figures comme Edward Snowden ou hier déjà Jeffrey Wigand pour l’industrie du tabac aux Etats-Unis, le moment semble propice pour mettre en lumière une petite révolution qui, dans le relatif anonymat médiatique du processus règlementaire, va venir en France transformer en profondeur le quotidien des entreprises, et en particulier celui des DRH. 

Le 21 mars dernier, la Loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte a été promulguée, créant désormais, et d’abord pour les entreprises d’au moins 50 salariés, un ensemble de nouvelles obligations et responsabilités. 

A quelques mois seulement de l’entrée en application de ces nouvelles contraintes, les entreprises prennent-elles réellement la pleine mesure de l’ampleur de ces changements ? 

De la corruption aux ressources humaines : plus qu’un élargissement du champ d’application 

Le 9 décembre 2016 la Loi dite « Sapin 2 » intégrait dans le droit français la notion de lanceur d’alerte. Originellement centrée sur la prévention de la corruption, cette notion visait, dans un cadre expressément défini, à favoriser et protéger au sein des entreprises les « whistleblowers ». Ceux-ci devaient agir de manière désintéressée et avoir personnellement connaissance des faits. Ces différents éléments, depuis le 21 mars, ont été largement élargis. De la corruption hier, ce sont aujourd’hui les domaines économiques (de la corruption au détournement de fonds publics), de la santé et de la sécurité sanitaire, de l’environnement et des ressources humaines qui sont aujourd’hui couverts par le statut. Idem pour les critères relativement restrictifs, qui de « désintéressé » sont devenus « sans contrepartie financière directe » et plus particulièrement ne demandent plus d’avoir personnellement eu connaissance des faits. Un changement de paradigme majeur en faveur du lanceur d’alerte qui se retrouve dans la définition du statut, du fait de l’application de la directive européenne du 23 octobre 2019, que la France a interprété de manière extensive. Exit la notion de violation grave et avérée de la règle au profit notamment du seul préjudice pour l’intérêt général ou d’une simple violation de la Loi (entre autres critères). Enfin, ce dispositif, qui demande à l’entreprise des ressources particulières, est désormais applicable dès lors qu’il y au moins 50 salariés, là où les seuils étaient auparavant plus élevés, passant d’un dispositif ciblé à la nouvelle norme pour le tissu économique français. 

Quelles sont cependant les conséquences pratiques de cette nouvelle donne ? Dans les faits, c’est désormais la présomption de bonne foi qui s’applique pour le lanceur d’alerte et à l’inverse un devoir permanent d’attention et de prudence pour l’entreprise, première pierre d’une véritable politique de compliance sociale. Cas anecdotique mais révélateur qui s’applique aujourd’hui : si un manager se plaint auprès de sa hiérarchie que les heures supplémentaires de ses équipes ne sont pas correctement payées, il est, volontairement ou non, lanceur d’alerte. Si ensuite, un an plus tard, ses performances, et donc celles de ses équipes, sont jugées insuffisantes au regard de ses objectifs et qu’il est décidé par l’entreprise de s’en séparer, ce licenciement pourrait être aisément annulé du fait de la violation du statut de lanceur d’alerte. L’alerte a en effet été lancée, le signalement fait, aucune décision ne sera donc possible tant que l’enquête suite au signalement n’aura pas été menée. Une protection louable mais à quel coût pour l’entreprise ? 

La réalité pour l’entreprise : le coût de l’auto-régulation 

Cette présomption de culpabilité de l’entreprise fait penser à l’injonction délicieusement acide qu’évoque Jean Anouilh dans Becket : « La seule chose qui soit immorale c’est de ne pas faire ce qu’il faut quand il faut ». C’est désormais le cas de l’entreprise, assujettie à une précaution permanente des mots de ses collaborateurs, une obligation qui dans l’histoire récente a montré qu’elle pouvait favoriser davantage les départs négociés avec une importante compensation qu’une réelle justice interne. 

De fait, les coûts sont loin d’être anodins. Même pour les entreprises de plus de 500 salariés bénéficiant déjà d’un dispositif d’alerte, la solution n’est sans doute pas de se contenter des outils existants. Les compétences liées à la lutte contre la corruption ne sont en effet pas celles des ressources humaines. Or, le champ de l’alerte du côté RH (harcèlement, discriminations, durée du travail…) est vaste. Ces ressources nouvelles, il s’agira de les créer, de les former, d’investir dans le personnel et dans l’acculturation. De même le choix désormais laissé entre signalement émis en interne, c’est-à-dire dans l’entreprise, ou en externe, par exemple auprès du Défenseur des droits, constitue un enjeu de plus pour l’entreprise, qui devra nécessairement s’interroger en amont sur son souhait d’obtenir de la donnée interne plutôt que d’être sollicitée par une autorité extérieure. 

Alors à quoi ressemble cette entreprise de demain ? Arrêtons-nous d’abord sur la notion de temps, celle du temps juridique et du temps de la compétence. Dans l’exemple précédent du manager, combien de temps l’entreprise devra-t-elle le garder, et en cas de condamnation quelle somme devra être versée ? Au sein de l’entreprise combien de temps pour former les ressources nécessaires à l’application de la Loi ? Et durant ce temps combien de signalements non ou mal traités ? La Loi est désormais votée et il n’est pas ici question d’en interroger la légitimité, cependant il faut en reconnaître la nécessité de gérer ses incidences sur la performance et le climat dans les entreprises si elles ne s’y préparent pas. A quelques mois de l’entrée en application, le 1er septembre prochain, l’alerte est lancée pour les entreprises.
le 23/06/2022

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