# Santé
Le droit du travail est-il vert ?

Le vendredi 20 septembre prochain correspond à un nouvel appel à la grève pour le climat, sous l’impulsion notamment de la très médiatique Greta Thunberg.

Et si cet appel impactait votre entreprise ?

Depuis plusieurs années, les débats sur le changement climatique se sont intensifiés et la réalité de celui-ci semble de moins en moins contestée. Les récentes canicules, les feux de forêts et ouragans montrés dans les médias, la fonte des glaciers ou la sécheresse constatés pendant les congés payés auront peut-être eu pour effet de renforcer la prise de conscience sur ce sujet et de conduire des salariés à se mettre en grève le 20 septembre.

Pourquoi pas ?

Il n’y a pas lieu, ici, de juger une telle intention ou de se prononcer sur l’intérêt d’une telle démarche.

Mais une telle grève serait-elle juridiquement régulière ?

Comment réagir si un ou plusieurs de vos collaborateurs venaient à se mettre en grève le 20 septembre prochain pour soutenir le climat plutôt que de se présenter au poste de travail ?

Rappelons que si le droit de grève est constitutionnel, son exercice doit s’opérer selon certaines conditions.

Parmi les plus évidentes, figure le fait que la grève suppose une cessation totale du travail et donc un arrêt de travail pendant une période de travail effectif.

Le mouvement annoncé le 20 septembre touche en ce sens davantage le monde du travail puisque de nombreuses mobilisations antérieures s’étaient limitées aux week-ends, par nature moins exposés à la question du travail effectif.

Encore plus intéressant est de rappeler la condition selon laquelle la grève est une interruption collective du travail. Pour que la grève soit constituée, il n’est pas nécessaire que le mouvement soit unanime (Cass. Soc. 28 juin 1951 Bull. Civ III p 374) mais il faut qu’il y ait à tout le moins plusieurs salariés.

Ceci peut assez aisément se vérifier lorsque tout ou partie de l’entreprise (un service, une BU, etc.) se met en grève.

Mais quid si un seul salarié s’arrête ?

Sur ce point, la grève du 20 septembre ouvre une question.

En effet, s’il a maintes fois été jugé que la grève ne peut être le fait d’un salarié agissant isolément, faute alors de répondre au caractère collectif (Cass. Soc. 29 mars 1995. N°93-41.863), peut-on avoir la même position s’agissant d’un salarié qui déciderait, lui seul, de s’associer à un mouvement national, voire international, poursuivant un objectif quasi-universel ?

Par le passé, les Juges ont eu l’occasion de valider la grève suivie par un seul salarié d’une entreprise qui participait à une grève nationale contre le blocage des salaires (Cass. Soc. 29 mai 1979. n° 78-40.553).

Il faudrait, à notre avis, s’attendre à ce que le climat bénéficie de la même clémence de la part des Juges.

Surtout, une vraie interrogation pointe s’agissant de la condition majeure qui correspond à l’existence de revendications professionnelles. En droit du travail, la grève est ainsi qualifiée dès lors que la cessation collective et concertée du travail s’effectue en vue d’appuyer des revendications professionnelles.

Classiquement, les revendications visent la rémunération, les moyens et conditions de travail, la résistance à des restructurations…

Si les revendications sont exigées, il n’est pas pour autant imposé que l’employeur soit nécessairement capable de les satisfaire (Cass. Soc. 23 octobre 2007. n° 06-17.802).

Le Climat, quant à lui, entre-t-il dès lors dans la catégorie de revendications professionnelles ?

Evidemment, la présentation à venir de cette grève autour du Climat constituera un élément déterminant pour tenter de répondre, et notamment son éventuelle appropriation par les syndicats.

Il reste qu’on peut déjà regarder la position des Juges s’agissant de mouvements parfois apparus à la lisière.

Ainsi des grèves politiques. Il est acquis depuis plus de 60 ans que la grève qui affirme une position politique plutôt que de tenter d’infléchir une décision de l’employeur sur des revendications professionnelles n’est pas une grève. C’est un usage abusif du droit de grève selon la Cour de cassation dès 1954 (Cass. Soc. 14 octobre 1954. Bull. Civ. IV. P 443).

Néanmoins, la délimitation entre politique et revendications professionnelles est parfois tenue, en particulier quand le mouvement s’inscrit dans un cadre national ou encore plus large.

Les juges ont ainsi, par le passé, validé une grève nationale qui visait à lutter contre le blocage des salaires et pour la défense de l’emploi, estimant en effet que ces revendications étaient étroitement liées aux préoccupations quotidiennes des salariés dans l’entreprise (Cass. Soc. 29 mai 1979. N°78-40.553).

Là encore, il est donc possible que la grève du 20 septembre reçoive le même accueil en cas de contentieux. En effet, il se peut que la préservation du climat, la lutte contre le réchauffement, voire plus largement la réduction d’émissions… générée, qui plus est, par une cessation du travail… coïncident avec des préoccupations quotidiennes des salariés.

Ceci sera d’autant plus évident que l’entreprise aura par exemple évoqué la préservation du climat dans ses déclarations RSE, ou plus récemment exprimé dans sa raison d’être ou dans sa mission…

Dans ces conditions, la participation de(s) salarié(s) au mouvement pour le climat du 20 septembre prochain, dont les contours vont sans doute être précisés ces prochains jours, sera à apprécier par la société avec mesure.

D’ailleurs, ce rendez-vous est aussi une formidable opportunité qui s’offre aux entreprises pour rappeler leur préoccupation sur ce sujet et les actions mises en œuvre dans le sens d’une empreinte verte favorable, telles notamment que le développement du télétravail, la mise en place de l’indemnité vélo ou encore, par exemple, une politique d’intéressement tenant compte de critères environnementaux.

le 09/09/2019

Articles du même auteur

Santé
Point de vue - Le juge et le virus
Point de vue – Le juge et le virusUne tribune parue dans Ouest-France signée notamment de Dominique de La Garanderie Avocats Pour lire l’article, cliquez sur le...
[Lire la suite]
Publié le 27/04/2020
Santé
Challenges.fr - Santé, emploi : Ces bombes à retardement de l’après-Covid pour les entreprises
Un interview à Dominique de La Garanderie Avocats dans lesechos.fr.Déconfinement: « Ce qu’attendent les salariés de leurs employeurs » Pour lire l’article, cliquez sur le...
[Lire la suite]
Publié le 29/05/2020
Organisation & Bien-Être au travail
L’annulation ou le report d’une prestation en raison de l’épidémie justifie-t-elle la rupture anticipée des CDD conclus pour assurer celle-ci ?
L’article L. 1243-1 du Code du travail autorise la rupture anticipée du CDD en cas de force majeure qui se définit comme « la survenance d’un événement extérieur irrésistible ayant pour...
[Lire la suite]
Publié le 30/03/2020
Entretiens professionnels : Il reste moins de 4 mois pour les tenir
La crise sanitaire exceptionnelle de cette année 2020 et son lot de mesures de protection des salariés ne doit pas conduire à délaisser la formation professionnelle qui est un vecteur de...
[Lire la suite]
Publié le 11/09/2020

Nos experts : Santé

...
Justine GODEY
...
Nadia PERLAUT
...
Juliette HALBOUT
...
Chrystelle DESCHAMPS
...
Maylis HARAMBOURE

Nos domaine d'Expertise

Dialogue social & relations collectives
Rémunération & Avantage sociaux
Santé

Organisation & bien-être au travail
Libertés & droits humains

Ethique & compliance